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4 Visions des mathématiques

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I. LA FICTION​

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Comment savons-nous qu'un théorème de mathématiques est "vrai" ? Le mode de véridiction des mathématiques consiste généralement à combiner des énoncés appelés "axiomes" via des inférences logiques.

 

Or les axiomes ont ceci de particulier qu'ils sont supposés "vrais" a priori de toute démonstration. S'il est possible de tisser un raisonnement qui fait consensus, partant des axiomes et aboutissant à un nouvel énoncé, alors cet énoncé sera considéré comme "démontré", et il accèdera au statut de "vrai à l'intérieur du set d'axiomes".

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Les mathématicien.ne.s imaginent en quelque sorte des univers parallèles, dont les règles sous-jacentes (les axiomes) seraient connues. Iels peuplent ensuite ces univers d'entités conceptuelles qui ne semblent pas exister dans le nôtre : des quantités "pures", déconnectées de tout objet; des formes "parfaites"; des droites infinies, faites de points infiniment petits, etc.

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Puis, iels font "vivre" ces univers, les travaillent à l'intérieur de leurs imaginations, et en extraient des énoncés qui portent sur les entités conceptuelles en question. Les contenus de ces énoncés dépendent alors fortement du set d'axiomes qui sous-tendent un univers.

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Dans la mesure où le processus pour valider ou rejeter un énoncé est composé intégralement d'opérations mentales, et ne nécessite aucune opération empirique dans notre univers, les mathématiques tiennent bien plus de l'expérience de pensée collective que des sciences dites 'objectives'. 

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II. LE LANGAGE

 

En contrepoint de cette première vision, bien des gens se sont étonnés de la "déraisonnable efficacité des mathématiques" à décrire notre monde [2]. Comment se fait-il que les énoncés ramenés de ces univers fictifs s'avèrent être si adaptés aux sciences censées raconter comment fonctionne le nôtre ?

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La réponse que je propose à ce paradoxe apparent, est que les personnes qui imaginent et explorent ces "univers parallèles" ne sont pas des purs esprits désincarnés. Les directions que prend leur imagination, les questions et les objets qui retiennent leur attention semblent devoir nécessairement refléter au moins un peu ce que ces personnes perçoivent et vivent dans notre monde.

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De plus, ces personnes évoluent à l'intérieur de collectifs, traversés par une multitude des questions plus terre-à-terre - comme par exemple "Comment empiler plein de cailloux ?" ou "Comment casser les empilements des voisins ?" C'est pourquoi tout se passe comme si l'histoire des mathématiques avait favorisé les sets d'axiomes qui fabriquent des "univers" générateurs d'énoncés ayant une certaine utilité, une applicabilité dans la vie de tous les jours [3].

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Ainsi, ces mondes imaginaires partageraient certaines propriétés avec le nôtre ; en cela, les mathématiques seraient davantage qu'une pure vue de l'esprit détachée de notre propre réalité. Dans bien des cas, il s'agirait plutôt d'une mise en abstraction de cette réalité, à l'intérieur d'un langage spécifique, orienté vers les quantités, les formes, les structures, les continuums, les transformations, etc.

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III. LE REGARD 

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La troisième vision des mathématiques se trouve dans la fascination autour d'un nombre en particulier, que certains appellent le "nombre d'or" ou la "divine proportion". Adolf Zeising (psychologue, mathématicien et philosophe au XIXème siècle) le décèle un peu partout : depuis les formes des cristaux jusqu'aux feuilles des arbres, de l'architecture aux dimensions du corps humain. Pour lui, ce nombre fait partie du tissus de la réalité. 

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L'utilisateur Nablator, du forum Ufosceptiques, a fabriqué un petit script qui fait apparaître ce nombre (ou potentiellement n'importe quel autre !) à l'intérieur de n'importe quel set d'une demi douzaine de données - y compris des sets inventés de toutes pièces, ou bien issus de choses qu'on imaginerait a priori très éloignées d'une éventuelle perfection divine (comme par exemple les masses des ingrédients dans la recette du big mac).

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Cela tend à montrer que dans certains cas, des "propriétés" mathématiques supposées des objets n'apparaissent que parce qu'on essaie un peu trop fort de les voir. En combinant un biais dans la sélection des dimensions qui sont jugées pertinentes, une forme de "bricolage" calculatoire entre ces dimensions, et une tendance à être un peu trop indulgent avec les arrondis, on peut faire apparaître un peu ce qu'on veut. En cela, les mathématiques ont fonctionné - au moins localement - comme une subjectivité, une manière de regarder le monde. [4]

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IV. LA SCIENCE

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Les mathématiques enseignées dans le système scolaire pré-bac introduisent les théorèmes comme des énoncés fondamentalement vrais, sans préciser les axiomes dont ils dérivent, ni faire mention de leur potentiel caractère fictif. Dans la présentation qui en est généralement faite aux élèves, les savoirs mathématiques ne sont pas cadrés comme relevant de modes de véridictions différents de ceux de la physique-chimie ou des sciences de la vie et de la terre.

 

Les théorèmes du programme scolaire sont d'ailleurs sans cesse rattachés à des situations du monde réel, ou du moins à des exemples fictifs qui prennent la forme de situations réelles - cet aspect est saillant dans la majorité (sinon la totalité) des manuels scolaires de mathématiques contenant des exercices. En outre, les matières dites "scientifiques" dans le cadre scolaire contiennent une part importante de concepts quantitatifs.

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Au delà de ce cadre pédagogique qui brouille la frontière entre les mathématiques et les sciences empiriques, on peut par exemple remarquer le point de vue d'André Sainte-Lagüe [5], qui considère que la démonstration mathématique elle-même peut passer par une forme d'empirisme. Il appuie cette idée sur la manière qu'ont les mathématicien.ne.s de démontrer qu'un nombre est premier.

 

On ne connait actuellement aucune formule, aucun théorème dérivé des axiomes de l'arithmétique élémentaire, qui permettrait de générer une liste des nombres premiers. Pour savoir si un nombre est premier, l'administration de la preuve se fait en épuisant "à la main" la liste des diviseurs potentiels de ce nombre. Cette suite d'opérations mentales s'apparente fortement à une vérification expérimentale, nous dit Sainte-Lagüe, ce qui tendrait à montrer que les mathématiques fonctionnent - au moins localement - comme une science empirique.

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[1] Il s’agit ici d’un anglicisme : la « crédence », c'est le fait d’adhérer à une thèse, ou de l’admettre comme vraie, mais envisagé comme quelque chose de gradué - on adhère plus ou moins fort - plutôt que comme quelque chose d'absolu.

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[2] Formule empruntée à Eugene Wigner, “The Unreasonable Effectiveness of Mathematics in the Natural Sciences”, 1960

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[3] On pourra citer comme exemples les sets d'axiomes de la géométrie euclidienne, de l'arithmétique élémentaire, de Peano, de l'arithmétique modulaire, etc.

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[4] Considérer que les mathématiques sont un regard divin est d'ailleurs une autre manière de résoudre le problème posé par leur apparente "déraisonnable efficacité" : si Dieu structure Sa pensée par le prisme des mathématiques, alors il n'y a rien d'étonnant à ce qu'elles soient si efficaces à appréhender Sa Création.

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[5] Il a travaillé comme mathématicien, professeur, et vulgarisateur pendant la première moitié du XXème siècle.

 « On se met d’accord sur ces deux choses-là ; et même pas forcément "on se met d’accord", mais après, en fonction de ce qu’on suppose comme vrai, les règles de raisonnement sur lesquelles on s’est mis d’accord vont nous permettre de faire des déductions. Ça produit des théorèmes. Les maths c’est une machine à produire des théorèmes. (…) Ces règles, on est obligés de les admettre pour que les raisonnements soient valides, mais elles sont suffisamment simples…en fait toutes nos déductions ont pour poids la crédence [1] qu’on accorde à ces raisonnements-là. Et vu qu’ils sont très simples, on leur accorde beaucoup de crédence »

Extrait d’entretien avec un chercheur en mathématiques, 2019

« Les maths, il y a un degré de certitude – une fois qu’on a supposé les fondations, encore une fois – mais dès qu’on veut appliquer ça à la réalité, évidemment, il y a place à l’interprétation. Et c’est pas le boulot des maths de faire ça. On peut se servir des maths pour faire plein de choses, mais les maths existent indépendamment de ce qu’elles disent sur la réalité »

Ibid.

Posté le 19/04/2022

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