Faminisme
Cross : Tu as pris quoi du coup ?
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Cosmo : Poulet-crudités. Qu'est-ce qu'on disait ?
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Cross : Tu parlais de citoyenneté...
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Cosmo : Ah oui c'est ça. La condition numéro un pour que ça fonctionne, pour qu'on ait une chance d'atteindre la paix et la liberté, c'est que les gens se considèrent d'abord et avant tout comme des citoyen.ne.s. Si un groupe de personnes font sécession et se mettent à se représenter comme des...des chaipaquois, avant d'être des citoyen.ne.s, alors iels vont inévitablement finir par réclamer un système politique qui avantage les chaipaquois aux dépens des autres.
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Cross : Euh...ah bon ?
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Cosmo : Bah oui. Prends par exemple la faim. Je pense que les discriminations liées à la répartition de la nourriture n'ont pas leur place dans une société qui fonctionne bien. Parce qu'une existence pilotée par le rapport à la faim n'est ni réellement libre, ni réellement apaisée. Donc moi j'aspire à un système où les citoyennes et les citoyens ont laissé de telles considérations derrière elleux : mon horizon politique est un monde où le mot "faim" est obsolète.
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Cross : Ah c'est marrant que tu prennes cet exemple, parce qu'il s'avère que j'ai faim, et tu n'as pas fini ton sandwich...
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Cosmo : D'accord tu as faim, mais ça ne te définit pas en tant qu'individu n'est-ce pas ? C'est pas une identité, la faim. Deux personnes sont-elles identiques ou même comparables juste parce qu'elles ont faim ? Personnellement je trouve ce genre d'amalgame trop simpliste, trop caricatural. Du coup je me méfie des discours politiques qui vont essentialiser "les affamé.e.s". Ils ont des relents de classisme qui me mettent mal à l'aise - justement parce que je suis anti-classiste. Tu es classiste toi ?
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Cross : Non mais... deux personnes qui ont faim, elles sont confrontées au même genre de problème, et-
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Cosmo : Et qu'est-ce que ça veut dire, d'abord, "être affamé.e" ? C'est une identité ? Est-ce que si je saute un ou deux repas je suis un affamé moi aussi ? Est-ce qu'il me suffit de le dire pour que ce soit vrai ? Tu vois, c'est pour ça. Si on commence à mettre en place un régime de privilèges pour les soi-disant "affamé.e.s", d'une part c'est la porte ouverte au grand n'importe quoi, un véritable cauchemar logistique ; et d'autre part ba ça va à l'encontre du principe d'égalité des droits. Et d'ailleurs....
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Cross : Eh ! Tu viens vraiment de jeter la moitié de ton sandwich à la poubelle ?
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Cosmo : Oui ! Pas de privilèges, pas de traitement de faveur ! Ce sandwich je ne l'ai pas volé, il me semble ? Je l'ai mérité : j'ai travaillé pour gagner de quoi acheter ce sandwich, et j'ai le droit d'en jouir, en usus, en fructus, et en abusus. C'est pas moi qui le dis, c'est le code civil ! Tu aimerais toi, vivre dans un système où jeter ce sandwich est interdit ? Où on contrôlerait les moindres faits et gestes de l'ensemble des citoyen.ne.s, où on piétinerait la liberté et l'égalité, tout ça pour ne pas froisser ces "affamé.e.s" autoproclamé.e.s ? Tu sais, je pense que vous gagneriez à être moins intrusifs... et aussi moins susceptibles ! Ça donnerait davantage envie de vous écouter.
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Cross : ...Bon. Désolé si tu t'es senti agressé. Mais tu n'aurais pas pu me le donner ? Vu que ça ne te coûte rien de plus, et que j'ai faim ? C'est quand même une meilleure gestion des ressources...
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Cosmo : Tu n'as donc rien écouté ? Je viens de dire que je rêvais d'un monde qui ne fractionnerait pas la société en fonction de si ses membres ont le ventre vide ou plein. Que le mot "faim" n'a rien à faire dans mon idéal. Je n'ai pas envie de laisser ce genre de discours radicaux nous diviser, nous forcer dans une narration séparatiste où le peuple de notre pays ne serait plus uni. Tout ça pour nous imposer un agenda où les "affamé.e.s" soumettraient les "repu.e.s". En quoi est-ce égalitaire ? En quoi est-ce juste ? Certes, par le passé les choses étaient difficiles pour une partie du peuple. Je ne le nierai pas. Mais combien de temps devons-nous encore nous flageller pour des injustices dont les coupables et les victimes sont mort.e.s depuis des générations ? N'avons-nous pas donné le droit de vote à tout le monde ? La loi ne dit-elle pas que tous les citoyens naissent égaux à ses yeux ? Personnellement je me moque que tu aies faim ou non, et je refuse de te traiter différemment sur cette base. Je regarde au delà de ça.
Posté le 16/02/2022