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Outils Quanti
Partie 3/?

Dans cette série d’articles, qui commence ici, je tente d’apporter quelques arguments en faveur de l’assertion suivante : Ce qui peut se raconter avec des qualifiants peut souvent se raconter avec des quantifiants. 

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  3. Des algorithmes​

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Pouvez-vous quantifier la différence entre un corbeau et un bureau ? La question a de quoi interloquer. Si on peut aisément mettre des mots sur cette différence, l'idée de la raconter avec des quantités peut paraître saugrenue au premier abord. 

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Si on cherche à décrire en français ce qui sépare le corbeau et le bureau, on remarque qu'un unique qualifiant décontextualisé ne suffit pas du tout à épuiser cette différence. On aura donc plutôt tendance à proposer un assemblage de mots - de qualifiants et d'opérateurs qualitatifs - structurés en phrases. De façon similaire, des quantités peuvent s'articuler entre elles, et par leur mise en relation il est possible de faire émerger un langage capable de véhiculer des idées complexes.

 

Le troisième argument part ainsi du constat que des algorithmes de détection d'objets semblent déjà capables de manier certaines de nos catégories conceptuelles qualitatives, et montrent des taux de réussite qui rejoignent ceux des humains (et qui ne se limitent généralement pas à distinguer les deux catégories susmentionnées). Si ces programmes sont à même de discriminer les corbeaux des bureaux, alors selon toute vraisemblance leur code contient une manière de raconter les différences entre les deux. Et cette narration est composée exclusivement de quantités, et d'opérateurs quantitatifs.

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S’il existait une incompatibilité fondamentale entre les dimensions qualitatives et quantitatives de nos boîtes à outils conceptuelles, alors les taux de réussite de ce genre d’objets numériques seraient difficiles à expliquer : on s’attendrait à ce qu'ils soient par nature incapables d'effectuer de telles tâches – ou a minima qu'ils y soient grossièrement moins compétents que des humains.  


Ces programmes, reposant sur la technologie des réseaux de neurones artificiels, nécessitent préalablement à leur fonctionnement d’être « entrainés » à partir des modes de catégorisation des humains : ils ne créent pas à proprement parler de concepts qualitatifs, ils « apprennent » à les manier. Toutefois, l'immense majorité des humains ne créent pas non plus les concepts qu'ils mobilisent au quotidien : ces concepts les précèdent, et ils en ont intériorisé une certaine compréhension - dont les contours peuvent varier d'un individu à l'autre.

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On peut aussi relever le fait que ces algorithmes ne sont pas réellement en train d'attribuer des qualifiants à des choses, mais plutôt à des images de choses ; qu'ils ne perçoivent pas le corbeau, juste une grille de pixels. Mais il semble que cette remarque pourrait là aussi s'appliquer aux humains : moi-même je n'ai jamais accès au corbeau per se, uniquement à des signaux sensoriels.

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On pourrait enfin objecter qu'un magnétophone peut – en apparence – « apprendre » et reproduire la voix d’une chanteuse. Faudrait-il pour autant en conclure que l’essence de l’acte de chanter serait entièrement réductible à ce que fait l'appareil ? Je ne le pense pas, car l’acte de chanter semble impliquer une activité interne à l'être chantant, et notamment le ressenti subjectif de « ce que cela fait de chanter ». Je parierais que cette dimension de conscience est totalement absente des magnétophones.

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Je ne prétends donc pas ici que ce qui se produit à l’intérieur des réseaux de neurones artificiels quand ils reconnaissent un corbeau ou un bureau est similaire à ce qui se passe en nous, quand nous faisons la même distinction. Je ne prétends pas non plus que nous devrions remplacer notre langage par celui des machines. Ce que je prétends en revanche, c'est que l’existence de tels programmes montre qu’il est possible d’approximer très correctement certaines manières dont les humains qualifient le monde qui les entoure, au moyen d’un langage intrinsèquement quantitatif. Cela me paraît être un indice en faveur du fait que qualification et quantification ne sont pas conceptuellement orthogonales, mais plutôt deux faces d'une même pièce.

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Mon troisième argument est donc le suivant : Certaines narrations en mots sont déjà actuellement traduites en narration en nombres, avec une perte de sens minimale. Une perte de sens qui n’est peut-être pas plus grande que la variabilité qui peut exister entre deux individus, dans les contours de leurs catégories respectives.

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(à suivre ?)

Posté le 31/12/2021

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